Royaume-Uni : Vers une réforme de la diffamation plus protectrice des libertés et des prestataires techniques ?

La Commission des lois britannique vient de proposer de modifier le régime juridique applicable aux prestataires techniques en matière de diffusion de propos diffamatoires sur l’internet. Le rapport rendu public le 18 décembre 2002 estime que les normes actuelles portent atteinte à la liberté d’expression protégée par la Convention européenne des droits de l’homme.

« De nombreux arguments existent incitant à revoir les conséquences de la loi sur la diffamation sur les hébergeurs de sites internet ». Telle est la principale conclusion d’une étude [lawcom.gov.uk] rendue publique le 18 décembre 2002 par la Commission des lois britannique. Cet organe indépendant, créé en 1965 par le Parlement, est chargé d’une part de veiller à l’application des lois en Angleterre et au Pays de Galles et, d’autre part, de recommander les réformes législatives qui s’imposent. A la demande du ministère de la justice, la Commission a examiné l’application du Diffamation Act datant de 1996 notamment dans le monde numérique.

Le rapport examine les effets de ce texte notamment à la lumière de l’article 14 de la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique qui prévoit qu’un hébergeur peut être responsable civilement ou pénalement d’un contenu diffusé sur ses serveurs dès lors qu’il a effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicite. A l’heure actuelle, et selon la réglementation britannique, un hébergeur est tenu de supprimer ou de rendre inaccessible un site internet, ou un contenu, dès lors qu’il est informé que ce dernier contient des données potentiellement diffamatoires. Il pourra voir sa responsabilité engagée soit en cas de suppression abusive, soit au contraire, en l’absence d’agissements de sa part.

De cette pratique, la Commission des lois estime que « la loi incite fortement le prestataire à supprimer le contenu dès lors qu’on lui signale qu’un contenu peut être diffamatoire » et que cela peut s’opposer au principe « de la liberté d’expression protégé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Reprenant les mêmes débats qui ont secoué la France lors de la discussion de l’amendement Bloche au cours de l’année 2000 et qui reviennent sur le devant de la scène avec l’avant-projet de loi sur l’économie numérique, le rapport rappelle que « les prestataires ne veulent pas jouer le rôle d’un juge ou d’un jury populaire. S’ils se trompent, ils peuvent faire l’objet d’une plainte de la part de leurs clients ». C’est pourquoi, le rapport propose deux réformes.

La première constituerait à instaurer une immunité de l’hébergeur équivalente à celle existante aux Etats-Unis pour les fournisseurs d’accès. La section 230(c) du Communications Decency Act de 1996 prévoit qu’ »aucun fournisseur d’accès (…) ne pourra être assimilé à l’éditeur ou à l’auteur d’une information produite » par une autre personne. Appliquant ces principes, les juges américains ont reconnu une immunité du prestataire « pour toutes les actions qui le rendraient responsable de la diffusion d’une information émanant d’un tiers » (Affaire Zeran v. America On Line).

La seconde proposition porte sur une réforme du Defamation Act afin d’étendre la protection des diffuseurs qui pensent que le contenu n’est pas diffamatoire. Cette protection pourrait suivre plusieurs chemins : imposer à la victime de prouver que le prestataire avait connaissance du caractère ouvertement diffamatoire des propos ou, au contraire, « permettre au prestataire de démontrer qu’il avait de bonnes raisons de croire qu’il a fait le bon choix ».

De la même manière qu’en France, la question de la mise en œuvre d’une procédure de « notice and take-down » est discutée. Cette procédure permet à un prestataire de s’exonérer de toute responsabilité dès lors qu’il supprime un contenu signalé comme diffamatoire selon une procédure très précise. A ce jour, même si la législation britannique implique de supprimer automatiquement un contenu dès la réception d’un avertissement par l’hébergeur, toute personne peut demander la disparition d’un site et aucun standard procédural n’a été mis en œuvre. Auditionnée par la Commission des lois, l’association britannique des fournisseurs d’accès (ISPA) a recommandé l’adoption d’un code de bonne conduite. Ce dernier pourrait détailler la procédure de notification, afin de sélectionner parmi les centaines de courriers électroniques reçus, ceux qui entrent ou non dans le signalement de contenus diffamatoires. Interrogé par le Guardian [guardian.co.uk], un représentant de l’ISPA précise qu’ils désirent « des sanctions contre les personnes adressant de fausses notifications », chaque traitement coûtant entre 75 et 1 500 euros.

NB : selon les premières conclusions, analysées par ZdNet [zdnet.co.uk], d’une étude menée par l’ISPA, 54% des demandes de suppression reçues concernent des problèmes de droit d’auteur tandis que 27% touchent à l’hébergement de contenus considérés comme diffamatoires.

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